PÉRIGNAC : LES JUMEAUX IDENTIQUES

Dans la prochaine aventure intitulée : les jumeaux identiques, nos deux missionnaires se retrouvent en Normandie en 1952. Il va sans dire que Fontaimé et Mêléüs s’imaginent être le même personnage qui se serait dédoublé pour des raisons inconnues. Évidemment, leur fichue mémoire défaillante les empêche de deviner qu’ils sont, en réalité, Mercéür et Anak. L’un d’eux vient de terminer une mission à l’époque de Jésus et l’autre, à Alexandrie.

Il pouvait être aux environs de minuit lorsqu’un genre de clochard au charmant sourire enfantin s’amusa à promener son chien dans un parc interdit aux animaux. La nuit étoilée contrastait étrangement avec des milliers de croix blanches qui pâlissaient l’image des hommes de bonne volonté. Le visiteur traversa ce cimetière rempli de soldats qui débarquèrent jadis à Dieppe, en Normandie, le 6 juin 1944, pour y être finalement assassinés par le monstre de la guerre. Ce lieu des tristes souvenirs n’était pas l’endroit idéal pour y faire une promenade, à moins d’aimer la compagnie des morts. Mais notre homme ne craignait pas leur présence comme celle d’un éventuel gardien de ce jardin. À vrai dire, ce pauvre clochard serait fort embarrassé de devoir lui expliquer sa présence dans ce lieu puisqu’il l’ignorait lui-même. Puis, saurait-il trouver les mots appropriés pour lui faire comprendre qu’il y a un chien au bout de sa laisse? En effet, ce drôle de personnage se promenait en compagnie d’un chien-loup tout à fait invisible. Cette jolie bête pouvait aboyer et même mordre au besoin. Mais ce chien qui répondait au nom de Bacchus, s’imaginait toutefois vivre encore à l’époque du vaste empire d’Alexandre le Grand. L’animal était loin de s’imaginer qu’il venait de traverser des milliers d’années d’histoire pour se retrouver en Normandie, le soir du 7 juin 1952.

Avant de nous égarer inutilement dans de subtiles théories pour expliquer l’invisibilité de Bacchus, le voile du mystère se lèvera de lui-même lorsque nous aurons apporté quelques précisions concernant son maître qui se donne le nom de Fontaimé Denlar Paichel. Cet homme possède d’étranges facultés de voyager dans les différentes époques de l’humanité en empruntant simplement le couloir Intemporel. Il s’agit d’une faille lumineuse qui permet, momentanément, à son utilisateur de se libérer de l’emprise du temps. Malheureusement, il faut avouer que très peu de gens peuvent quitter une époque pour se matérialiser en chair et en os dans une autre. Le corps physique refuse de se rendre visible à l’oeil nu. C’est exactement comme si l’aura qui l’entoure devient palpable sans pour autant se laisser voir. Cette masse d’énergie possède cependant la forme exacte du voyageur de l’Intemporel. C’est ce qui arriva à ce chien, venu d’une époque où Alexandre le Grand venait de faire bâtir une grande cité qui porta ensuite son nom. Il va sans dire que Mêléüs Denlar Paichel vécu un certain temps à Alexandrie, située en Égypte. Ce spécialiste des escapades dans le temps fut malheureusement victime d’un dérèglement de son futur itinéraire lorsque Bacchus sauta dans la faille lumineuse sans avertissement. La bête apeurée fuyait des serviteurs de son ancien maître qui voulaient l’abattre. Tout débuta le jour où un pâtre vendit l’une des brebis du maître de Bacchus à un marchand de vin afin de lui rembourser une petite dette de jeu. Afin de s’éviter la colère de son employeur, le pâtre accusa le chien-loup d’avoir dévorer la brebis. C’était évidemment une fausse accusation, mais Bacchus fut incapable de la réfuter. Il fuit donc vers la cité en espérant semer ses poursuivants, armés de lances et de flèches. Entre temps, Paichel qui s’y trouvait déjà, se préparait à quitter cette époque dès qu’une voix mystérieuse lui demanda de retourner dans le couloir Intemporel. Il sortit donc d’un temple dédié, on ne sait, à quel dieu ou déesse pour ensuite s’engager dans une étroite ruelle. C’est alors que Bacchus déboucha en même temps dans celle-ci et sauta sans attendre dans la faille lumineuse qui venait d’apparaître devant le voyageur.

Nos deux voyageurs firent le tour de ce cimetière comme des naufragés explorant une île inconnue. Des croix blanches y remplissaient ses moindres coins de verdure, alignées comme des soldats de bois aux bras déployés. Vraiment, le clair de lune n’incitait pas nos amis à la rêverie, mais plutôt au recueillement. Paichel demeurait silencieux, mais son compagnon finit par lui reprocher de l’avoir attaché en sortant du couloir Intemporel.

- Je ne suis pas ton esclave pour te suivre la corde au cou, lui jappa-t-il froidement.

- Tu n’es pas mon esclave, se contenta de lui répondre calmement son nouveau maître.

- Mon ancien maître possédait des esclaves nus qu’il attachait de la même manière lorsqu’il voulait les revendre à des marchands. Donc, tu vas donc me conduire sur la place publique dès qu’il fera jour?

- Je n’ai jamais vendu personne, si cela peut te rassurer, lui répondit l’homme après avoir pris une grande respiration. Si je t’ai attaché, c’est uniquement pour te protéger.

- On ne protège pas Bacchus en l’attachant avec cette corde qui te servait de ceinturon, Si tu crois que je suis un être libre, tu dois m’affranchir de tout ce qui a un lien avec l’esclavage.

- Tu sais, Bacchus, j’aimerais bien te voir me passer cette corde au cou si tu crois pouvoir me guider dans ce monde inconnu. Ce n’est pas par plaisir si je te demande de demeurer attacher un certain temps, mais simplement par précaution. Je ne sais pas si tu réalises que nous ne sommes plus à Alexandrie, mais dans un monde futuriste. Respire cet air vicié pour t’en convaincre!

- Cet air me donne des nausées.

- Et voilà! Mes expériences comme voyageur de l’Intemporel m’indiquent que nous avons non seulement traversé la période de l’Antiquité, mais celle du moyen âge et de la Renaissance. Je perdrais sans doute mon temps à tenter de t’expliquer les différences entre celles-ci. Disons simplement qu’il y a plusieurs périodes de l’humanité et que les hommes ne voyageront pas toujours sur le dos d’un cheval.

- Ils voyagent déjà en bateau et dans des charrettes, si c’est cela que tu voulais savoir.

- Exactement. Tu ne seras donc pas surpris d’apprendre que les moyens de transports vont grandement évoluer au cours des siècles et que nous nous trouvons à une époque où les gens vont voyager en automobile, en avion et plus tard, en vaisseau spatial. Tu ignores, par conséquent, le sens du mot pollution et surtout celui que les hommes d’un lointain futur définiront par poison solaire. Il ne sera plus possible de vivre en dehors des cités, recouvertes de dômes de verre sans risquer de graves brûlures radioactives. Je pourrais te parler des hommes qui vivaient à l’âge de pierre ou à celle de bronze, mais l’important pour toi, c’est de savoir que tu vivais dans l’Antiquité.

- De l’Antiquité? Une antiquité est une vieille chose désuète que l’on conserve en souvenir d’un temps passé, n’est-ce pas? Suis-je devenu si vieux depuis que j’ai quitté Alexandrie?

- Pas du tout ou pas tout à fait, mais presque!

- Cela est sans importance si je peux retourner là-bas. Puis, cette odeur d’une autre époque m’irrite le museau.

- S’il était en mon pouvoir de te renvoyer dans ton époque, mon cher Bacchus, je le ferais avec grand plaisir.

- Donc, c’est impossible?

- Si Dieu le veut!

- En ce qui me concerne, Dieu c’est Zeus. J’ai l’impression qu’il a voulu me punir d’avoir été lâche en fuyant ces serviteurs de mon maître. Je devais mourir, mais j’ai fui mon destin.

Le missionnaire lui caressa la tête avant de répondre :

- Je pense que tu possèdes une étrange conception de la servitude. Ton maître était un homme tout à fait ordinaire, sauf que sa richesse lui donnait de l’importance socialement. Tu vois, un maître n’est pas intéressé par le pouvoir et la gloire. Il n’ordonne jamais la mise à mort d’un être vivant puisqu’il sait trop bien que la vie d’un autre ne lui appartient pas. Il peut se montrer sévère à l’occasion sans pour autant en prendre plaisir comme certains dictateurs qui gouvernent le monde. Tu vois bien que ce n’est pas Zeus qui voulait prendre ta vie, mais un mauvais maître qui n’a pas daigné écouter ta défense.

- Mais comment l’aurait-il fait puisqu’il ignorait la façon de communiquer avec les animaux? D’ailleurs, tu es bien le seul humain avec lequel je peux parler ma langue et comprendre la sienne!

- Nous ne parlons pas la même langue mais nous savons communiquer nos pensées. Ce don me vient du ciel puisque je peux dialoguer avec tous les humains, les animaux, les plantes et les minéraux. Mais pour en revenir à ton maître qui ne pouvait, selon toi, écouter ta défense, je pense qu’il n’avait nul besoin de t’entendre hurler pour comprendre que tu étais innocent dans cette affaire. Les yeux d’un animal ne mentent pas comme ceux des hommes. Il aurait vu quelque chose de différent.

- Il aurait vu que je n’avais rien à me reprocher en me fixant dans les yeux?

- Je le crois fermement.

Encore vêtu encore de sa toge d’une autre époque, le marcheur sortit finalement de ce cimetière pour explorer les environs. Il aurait bien aimé connaître le jour et l’heure exacte de son arrivée puisque normalement, il retournera dans ce couloir mystérieux dans quatre-vingt-quatre ans. Nos voyageurs traversèrent un pré avant de découvrir une faible lueur pointant à travers une rangée d’arbres qui séparaient deux vastes champs d’orge. Cette lumière était celle d’une modeste maison d’un agriculteur normand. Quelqu’un devait sûrement veiller à cette heure tardive de la nuit puisque le fanal de la cuisine projetait l’ombre de trois personnes sur le mur, situé en face de la fenêtre. Paichel demanda à son compagnon de se faire le plus discret possible pour éviter de faire peur à ces gens.

- Mais je suis déjà invisible, lui rappela le chien amusé par sa demande.

- Je le sais, lui chuchota son maître en se rapprochant prudemment de la fenêtre. Je te demande simplement de passer inaperçu en entrant chez ces gens qui pourraient s’imaginer se trouver en présence d’un animal fantôme. Le mieux serait que tu évites de te frôler sur eux et surtout, de faire entendre ta respiration.

- En deux mots, tu voudrais que je fasse semblant de ne pas être là?

- C’est exactement ce que je te demande.

Les visiteurs se cachèrent sous la fenêtre et Paichel se releva lentement afin d’épier ces gens sans se faire remarquer. Son regard se fixa aussitôt sur un pauvre homme affamé qui se gavait de nourriture, tout en gesticulant des deux mains pour donner plus d’intensité à ses propos. Un gros monsieur et sa femme l’écoutait en opinant de la tête. L’espion s’agenouilla lentement comme terrassé par une rude révélation.

- Sacré-nom-d’un-chien, gémit l’homme ébranlé. C’est incroyable, je suis assis à cette table et je mange un saucisson!

- De qui parles-tu au juste?, lui demanda le chien.

- De moi, voyons! Je n’oserais pas avouer cela à un humain pour m’éviter le ridicule. Mais à toi, Bacchus, je peux le dire qu’il y a un homme dans cette maison qui pourrait passer pour mon jumeau mais qui est la même personne qui te parle.

- Cet homme serait toi-même?

- C’est moi en chair et en os. Je ne sais vraiment plus si je dois accepter de le rencontrer ou encore m’éloigner pour éviter de nuire à sa mission.

- On dirait que tu as peur de te rencontrer!

- Disons que c’est plutôt rare de se voir en face sans l’aide d’un miroir. Je ne sais pas comment nous pourrions nous organiser pour accomplir les mêmes missions dans cette époque. Tu sais, je réalise qu’il s’est passé quelque chose de bien étrange pour que je me retrouve avec mon double. Logiquement, je ne devrais pas le rencontrer dans mes escapades dans le temps. Un simple petit calcul m’indique que l’un de nous d’eux s’est simplement trompé d’époque.

- Vraiment, c’est aussi simple que cela?

- Pourquoi faudrait-il que cette situation soit compliquée? Elle est cocasse sans plus. Il faudra donc que l’un de nous s’en retourne dans le couloir lumineux.

- C’est simple!, lui dit le chien.

- Non, ici cela se complique puisque je ne peux quitter cette époque avant quatre-vingt-quatre ans. J’aurai donc pas mal d’années à l’attendre mon pauvre ami.

- Pourquoi parles-tu de l’attendre? C’est peut-être ton double qui devra le faire pendant que nous ferons autre chose?

Le missionnaire se contenta de soupirer. Alors Bacchus comprit que son maître se sentait embarrassé de devoir lui expliquer clairement la situation.

- Dis-moi la vérité, demanda tristement le chien-loup, je suis responsable de cette situation, n’est-ce pas?

- J’en ai bien peur, répondit Paichel en baissant les yeux. Il n’aurait pas fallu que tu te frôles à moi en sautant dans le couloir Intemporel. En le faisant, nos énergies se sont mêlées au moment précis où nous descendions dans la spirale lumineuse. J’emploie le mot “ descente “, même si nous remontions le temps. Puisque nos énergies trompèrent la véritable masse à transporter dans un passé ou un futur qui m’était destiné, il va sans dire que j’ai raté l’époque dans laquelle je devais apparaître.

- Je réalise à présent que tout est de ma faute.

- Non, tu ne pouvais savoir ce qui arriverait en te frôlant sur moi. C’est un accident de parcours sans plus.

- Oui, mais j’ai tout de même commis une erreur de jugement en sautant dans cette faille lumineuse.

- Hé bien, tu avais peur de tes poursuivants et personne ne saurait t’accuser d’avoir profité de cette faille providentielle pour leur échapper.

- Ainsi, rien de cela ne serait arrivé si je ne t’avais pas frôlé?

- C’est exact. Plusieurs voyageurs peuvent prendre place dans le couloir, mais doivent s’assurer de ne pas mêler leurs énergies.

- Tu devais arriver à quelle époque en quittant Alexandrie?

- J’ignore laquelle exactement, sauf qu’elle devait se trouver à quelques centaines d’années avant ou après celle-ci. En mêlant nos énergies, nous avons fait dévier notre destination réelle.

- Cela signifie également que l’autre toi-même est en droit d’exiger ton départ?

- Assurément, mais il ne le fera pas.

- Qu’en sais-tu?

- Je le sais puisque je me connais, n’est-ce pas? Allons mon ami, nous devons frapper à cette porte afin d’expliquer à mon double ce qui se passe avec l’une de nos missions. Il va falloir réfléchir à la question si je veux vivre les expériences qui m’étaient destinées dans une autre époque. C’est inutile de vivre ce que mon double est venu accomplir ici. Je veux dire par cela que si je dois accomplir une mission dans un temps qui m’a échappé par erreur, j’espère que la Providence saura m’y conduire et ce, avec ou sans le couloir Intemporel.

Alors que Paichel se préparait à frapper à la porte, son double s’était levé pour faire voir à ses hôtes, trois épines enchâssées dans un morceau de tissu.

- Regardez sur mon épaule les trois plaies que m’ont laissé ces épines! J’en suis encore fort ému puisque c’est le Christ lui-même qui a daigné me faire la grâce de reposer sa tête sur mon épaule la veille de sa crucifixion. Il priait dans la froide enceinte du palais de Ponce Pilate. Des gardiens lui crachaient à la figure malgré qu’il était déjà affaibli par la flagellation. Ils lui enfoncèrent méchamment une couronne d’épines avant de le faire agenouiller devant une colonne à laquelle on lui fixa les poignets. La pauvre brebis ne pouvait, ni se lever, ni s’asseoir. Alors, après avoir emprunter ce costume de l’un des soldats de la garde privée de Ponce Pilate, je me suis introduis clandestinement dans la cour en passant simplement par le toit. Il me fut ensuite facile de me laisser glisser le long de la colonne à laquelle était attaché le prisonnier. Je me suis agenouillé respectueusement à ses côtés afin de lui tenir compagnie. Cet homme que j’ai eu l’occasion de rencontrer à trois reprises lorsque je vivais en Galilée m’avait dit s’appeler, Menamuel, fils de Mohem. Mais ce soir-là, j’ai réalisé qu’il était le Christ. Il disait à faible voix que le fils de l’Homme n’avait même pas une pierre pour y reposer sa lourde tête. Je n’ai pas hésité à lui proposer mon épaule. Ces trois épines sont demeurées dans ma chair. Croyez-moi, Fontaimé Denlar Paichel ne ment jamais...ou presque!

Le cultivateur et son épouse le crurent sans hésiter dès qu’ils touchèrent les reliques. Un étrange picotement se répandit dans leurs vieux corps afin de guérir l’homme de son rhumatisme et sa femme retrouva la vue. En effet, celle-ci ne voyait plus depuis plusieurs années. Tous les deux fondirent en larmes en réalisant leur guérison miraculeuse. Ces vieillards voulurent embrasser les mains de leur étrange invité, mais celui-ci s’y refusa poliment. Il piqua une olive demeurée dans son assiette en se servant de l’une des épines avant de leur dire :

- Ce n’est pas moi qui vous a guéri et encore moins ces épines. Vous êtes de braves gens qui m’avez accueilli avec tant de gentillesse que j’ai grandement souhaité pour vous quelques années de bonheur sans aucune maladie. Il faut croire que mon ami a entendu ma prière.

Pour fuir l’admiration que lui portait ses hôtes, à présent occupés à lui épousseter son costume de soldat romain, Paichel demanda à se rendre à la salle de bain. Dès qu’il s’y enferma, son double se décida à entrer. Le pauvre homme avait frappé plusieurs coups à la porte sans que personne ne semble y porter attention. Préférant tout de même s’annoncer en demeurant sur le seuil d’entrée, il s’exclama timidement :

- Bonnes gens de cette maison, pitié pour un pauvre voyageur en quête de votre hospitalité.

- Qui est là? , demanda aussitôt la vieille dame en venant à sa rencontre. Oh! Mais vous êtes un véritable magicien, monsieur Paichel pour disparaître de la salle de bain pour ensuite vous retrouver au salon, vêtu autrement. Viens voir mon époux comme il est drôle dans son nouveau costume!

Tandis que la femme discutait avec Paichel devant la porte, son mari en faisait autant avec l’autre personnage, à présent sorti de la salle de bain.

- Dites-moi madame, est-ce que votre époux discute seul dans la cuisine?, demanda candidement Paichel qui voulait lui faire réaliser qu’il n’était pas un magicien, mais simplement le double de l’autre.

- Adam, mon époux, cria-t-elle sans attendre, tu parles aux murs, ma parole?

- Mais pas du tout, chère madame, s’empressa de lui répondre l’autre invité qui demeurait auprès du cultivateur. Il me demandait si j’aimais la Normandie.

La pauvre femme vit alors son premier invité apparaître à la porte d’arche qui séparait la cuisine du salon. Elle se crut sans doute sur le point d’éprouver de nouveaux problèmes de vision en examinant les jumeaux se saluer sans s’étonner de se rencontrer.

- Il est votre jumeau?, demanda le vieil homme qui se tenait près de celui qui avait vécu à l’époque du Christ.

- Disons que nous sommes vraiment identiques, se contenta de répondre celui-ci pour le rassurer.

- Vous n’aviez pas dit que vous aviez un jumeau, lui fit remarquer le cultivateur.

- Je m’en excuse et je m’empresse donc de vous le présenter, s’exclama Paichel d’une voix espiègle. Je vous présente mon frère...

- Mêléüs!, lui répondit l’autre.

Oui, évidemment! Mêléüs Denlar Paichel. Mais vous pouvez simplement l’appeler MÊLÉ, puisqu’il porte très bien son prénom. Viens dans mes bras mon cher Mêléüs.

Les deux hommes se firent le baiser fraternel avant de suivre leurs hôtes à la cuisine. Le cultivateur normand offrit aussitôt une chaise au deuxième Paichel.

- Assied-toi donc mon cher Mêléüs, lui demanda son frère qui semblait prendre beaucoup de plaisir à prononcer son nom. Tu es heureusement dans la maison de braves et généreuses gens. Je te présente, monsieur et madame Picard.

- Tout l’honneur est pour moi, monsieur et madame, répondit le double de Fontaimé. J’ose croire que mon frère n’a pas abusé de vos olives et de ce vin qui semblent vraiment bon!

- Mon frère semble connaître fort bien mes goûts, ce qui est normal après tout, se contenta de répondre Fontaimé en souriant.

- Vous voyagez également dans le couloir Intemporel? demanda la dame après avoir versé un grand verre de rouge dans les gobelets des deux voyageurs.

- Exactement, bonne dame, lui répondit Mêléüs avant de humer ce vin délicieux. Si mon ami pouvait avoir un peu d’eau froide pour se désaltérer...

- Votre ami?

- Oui madame, s’empressa de lui dire Fontaimé en fixant un coin de la pièce où Bacchus s’était assis discrètement. Mon frère Mêléüs est accompagné par un superbe chien invisible à vos yeux, mais que je peux voir parfaitement comme lui.

- Un chien invisible m’accompagne enchérit le maître de Bacchus en examinant la femme étonnée qui versa tout de même de l’eau dans un grand bol. Je n’osais vous le présenter pour m’éviter une foule de questions à son sujet. Puisque mon frère semble me devancer dans toutes mes intentions, je vais donc vous présenter mon compagnon, Bacchus. Il vient de très loin, d’une époque où Alexandre le Grand partit de la Macédoine pour conquérir la Grèce et une grande partie du monde de l’Antiquité.

- C’est donc d’Alexandre, fils d’Olympia et de Philippe que tu parles?, lui demanda son jumeau d’un air intéressé. J’ai connu un ami qui a bien voulu me raconter la vie de ce jeune conquérant qui naquit aux environs de 356 avant Jésus-Christ. Est-il vrai qu’il fut élevé par le grand philosophe Aristote?

- Je n’en sais rien, lui répondit son double en acceptant avec plaisir un plat de saucissons de la part de la charmante dame. J’ai vécu en Égypte où Alexandre le Grand y fit bâtir la cité d’Alexandrie. Elle portait également le nom de Rakotis, ce qui signifiait simplement “ quartier du Peuple .” C’est là que j’y vivais dans une pauvre demeure. Je travaillais comme gardien de nuit dans la vaste bibliothèque qui se trouvait dans le “ quartier des palais ”. Les historiens lui donnent le nom de Bruchium mais sans toutefois préciser que c’était un site tellement riche qu’il contrastait honteusement avec celui de Rakotis. Il le surplombait d’un air dédaigneux. J’ignore combien de pauvres gens tentèrent, par exemple, de s’introduire dans la jolie bibliothèque pour y mendier un peu de nourriture. Les érudits qui la fréquentaient parlaient constamment de nourriture pour l’esprit et cependant, refusaient d’offrir de la vraie nourriture aux mendiants. Le quartier de Bruchium n’était sûrement pas celui du peuple, mais plutôt des amis d’Alexandre. Il se trouvait tout de même douze sages de la bibliothèque pour les rappeler régulièrement à l’humanisme envers les pauvres de la cité. Ces amis du conquérant étaient pour la plupart des prétentieux qui recherchaient la gloire et non la sagesse. Ils se collaient, pour ainsi dire, aux sages dans l’espoir d’être nourri en connaissances. Il est vrai que la bibliothèque d’Alexandrie contenait pas moins de sept cents mille parchemins et manuscrits. Malheureusement, une grande majorité des gens qui la fréquentaient, n’en retiraient aucune valeur spirituelle. Ils vivaient à une époque où la conquête du monde par les armes et la destruction était plus importante que de tenter la difficile pacification des coeurs. C’est à cela que s’attachaient les sages de cette bibliothèque universelle.

- On dirait bien que vous êtes triste en songeant à ces sages, lui fit remarquer monsieur Picard en lui souriant timidement.

- Que diriez-vous mon cher monsieur s’il fallait toute la sagesse de ces maîtres pour protéger un trésor spirituel, constamment caressé par des idiots? Les douze sages passaient plus de temps à empêcher leurs élèves de chasser les mendiants de la bibliothèque, qu’à leurs faire comprendre le contenu des manuscrits à leur disposition. Ils ont même songé à éparpiller les parchemins à travers le monde pour les protéger contre les nombreux voleurs. Mais, aucun puissant d’Alexandrie n’aurait accepté de voir partir des écrits qui faisaient la gloire de la cité. On venait de partout pour les consulter et pour s’échanger des connaissances.

- C’est vraiment bien de pouvoir s’échanger des connaissances, lui répondit son double.

- Je suis de ton avis. Toutefois, ce qui est moins intéressant dans le cas d’Alexandrie, c’est qu’on ne peut échanger des connaissances que l’on ne possède pas encore. Les élèves s’accordaient volontiers le titre de disciple de tel ou tel maître de l’endroit pour exprimer leurs opinions personnelles sur des sujets aussi sérieux que le mysticisme, la révélation et la hiérarchie des dieux de l’époque. Ils corrompirent ainsi une foule de penseurs qui repartirent de la cité en s’imaginant avoir discuté avec des sages d’Alexandrie.

- Je comprends ta tristesse, mon frère, lui dit Fontaimé en opinant de la tête.

- Nous ne pouvons changer l’histoire, n’est-ce pas! De toute façon, j’en ai assez dit sur Alexandrie. Est-ce que tu peux me dire à présent ce qui te vaut l’honneur de porter une jupette romaine?

- Mais pourquoi pas! J’arrive à peine de mon voyage en Galilée, mon cher Mêléüs.

- Oh, mais c’est très intéressant comme itinéraire, lui dit son double en riant de bon coeur.

- Il a même rencontré le Christ, s’empressa d’ajouter madame Picard. Vous savez, mon époux et moi pensons avoir vécu dans un autre endroit que sur Terre. C’est sans doute pour cette raison si nous vous trouvons normaux, même si logiquement on devrait vous faire enfermer dans un asile psychiatrique.

- Voyons Marie-Ève, j’espère que tu crois ces deux hommes?, lui demanda sans tarder son mari d’une voix troublée.

- Bien entendu que je les crois, gémit la pauvre femme avant de s’éclater en sanglots. Mais nous n’avons pas cru notre fils, Fernand, lorsqu’il nous parlait d’un monde que nous avions peur de nous rappeler afin de nous éviter le ridicule. Pourquoi l’avons-nous confié tout de même à un psychiatre? Fallait-il vraiment le faire soigner parce qu’il se disait l’ami des fées?

Le vieillard serra affectueusement son épouse dans ses bras pendant que les deux Paichel se regardaient d’un air déconcerté. Le couple se retira au salon pour pleurer puisque la mort de leur fils avait complètement bouleversé leur vie. Paichel apprendrait bientôt que Fernand Picard faisait partie d’un groupe de maquisards qui opérait un peu partout en Normandie. Au cours d’une mission à Dieppe, il fut pris par les Allemands pour finalement mourir fusillé au même endroit où, deux ans plus tard, des centaines de soldats alliés y furent également ensevelis. C’est là que Paichel et son double sortirent du couloir Intemporel. Est-ce l’esprit de Fernand qui guida ces deux phénomènes chez ses parents?

Pendant l’absence de leurs hôtes, les deux voyageurs se parlèrent sans détour.

- Alors, tu es mon double ou mon jumeau?, demanda Fontaimé.

- Je suis toi dans la mauvaise époque. Tu as remarqué que je suis accompagné de Bacchus, mais il ne faudrait pas en vouloir à cette pauvre bête d’avoir sauté dans la faille lumineuse au moment où je venais à peine d’y entrer moi-même. J’ai bien peur que nos énergies se soient mêlées et surtout d’avoir manqué l’époque où je devais arriver.

- Bon, c’est inutile de nous inquiéter outre mesure de ce contretemps.

- Je suis responsable de vos malheurs, gémit le pauvre chien.

- Pas du tout, lui répondirent ses maîtres en riant.

- Vous allez devoir vivre tous les deux dans la même époque? demanda timidement Bacchus.

- Non, il serait vraiment dommage que mon jumeau manque son rendez-vous avec son futur ou un passé qui lui était destiné. Je pense avoir la solution à ton problème mon cher Mêléüs.

- À quoi songes-tu, mon MOI-MÊME?

- Hé bien, à te retourner si possible à ton point de départ d’Alexandrie. Si ton compagnon accepte de demeurer avec moi dans cette époque, tu pourras quitter de nouveau cette cité sans incident.

- Mais je veux retourner à Alexandrie, supplia le chien.

- Si tu y retournes, j’ai la certitude que tu oublieras de nous avoir rencontrés et que tu sauteras inévitablement dans la faille lumineuse.

- J’accepte donc de demeurer ici puisque mon destin en décide ainsi.

- Tu parles comme un brave chien fidèle, lui dit Mêléüs en lui caressant la tête. De toute manière, rien ne prouve que je pourrai moi-même y retourner à moins d’une intervention de la Providence!

- Ce n’est pas impossible d’y retourner si tu te souviens de Ta ou de MA première escapade dans le couloir Intemporel, lui dit son jumeau en souriant comme un enfant. C’était au moyen âge dans le petit bourg de Beau-Brave, n’est-ce pas?

- Oui, il se trouvait près de Flers. Sous le village était dissimulé des souterrains habités par des survivants de l’Atlantide. On pouvait y descendre en empruntant un passage secret qui se trouvait dans la sacristie de la petite chapelle de Sainte-Marie-des-Puys.

- En effet, c’est là que tu as quitté le moyen âge pour te rendre à l’époque de l’Homme de Néandertal, si je m’en souviens bien.

- Exactement, c’est d’ailleurs l’unique fois où le couloir n’est pas apparut devant moi puisqu’il se trouvait au fond d’une vaste galerie. Je me demande même s’il s’agit du même couloir ou si, au contraire, il serait l’oeuvre des Atlantes.

- C’est donc possible qu’il s’y trouve encore. Si c’est le cas, il suffit simplement de le rechercher. Tu vois, nous ne sommes pas si éloigné de ce bourg de jeunesse. C’est évident qu’il n’existe plus de nos jours, sauf que les souterrains s’y trouvent encore. Le passage secret est peut-être dissimulé sous un quelconque bâtiment moderne, mais c’est à nous de le découvrir.

- Tu dis que nous n’en sommes pas tellement éloignés? Pardonne tout de même mon ignorance du fait que je ne sais pas encore où je me trouve sur la carte du monde et encore moins en quelle année.

- Ah! Si tu avais comme moi rencontrer le gardien du cimetière, il t’aurait dit que nous sommes à Dieppe, le 7 juin 1952.

- Le gardien? Il faut croire qu’il dormait au moment de mon arrivée puisque je n’ai vu personne dans ce cimetière.

- Un esprit ne dort pas.

- Tu veux dire que ce gardien était l’esprit de...?

- Oui, de Fernand Picard. Lorsque je suis arrivé comme toi dans ce cimetière, un jeune homme s’est approché de moi pour me demander de l’aider à soulager le coeur de ses parents qui venaient pleurer sur sa tombe à tous les jours. C’est Fernand qui m’a dirigé vers cette maison en me demandant de bien vouloir y accepter le gîte et la nourriture. Tu vois, ses parents voudraient bien entrer en contact avec lui, mais s’il se manifeste une seule fois, ils ne voudront jamais plus le laisser regagner son monde. Je pense que ses parents s’en veulent terriblement de l’avoir confié à un psychiatre lorsqu’il avait douze ans. Fernand prétendait posséder cette faculté de vivre à Féerie, c’est-à-dire au pays des fées pendant son sommeil.

- Qu’en penses-tu?

- Hé bien, je le saurai lorsque j’aurai vu les centaines de croquis qu’il a fait du monde des esprits. Il m’a indiqué l’endroit exact où je les trouverai près d’ici. Il n’a jamais accepté de les montrer à ses parents puisqu’ils étaient trop incrédules pour comprendre son monde.

- Nous comprenions parfaitement son monde, lui dit la vieille dame en revenant dans la cuisine au bras de son mari. Fernand était trop fragile pour le laisser se faire envahir par le monde des fées. Nous n’avons jamais douté de ses dons de perception lorsqu’il affirmait être en mesure de communiquer avec les habitants d’une autre dimension. Il nous décrivait parfois des paysages tellement beaux que nous en éprouvions une sorte de nostalgie indescriptible de nos origines. Notre fils ne comprenait pas pourquoi nous pouvions rectifier, à l’occasion, certains noms qu’il employait pour désigner des personnages rencontrés dans ses voyages astraux. Il nous accusait de nous moquer de lui, alors qu’on voulait simplement lui faire comprendre qu’il n’était pas le seul humain à pouvoir vivre dans les deux mondes.

- Madame, lui répondit Fontaimé en opinant de la tête, votre fils s’est toujours refusé à renier ses origines. Cela lui a valu une foule de traitements psychiatriques. Les médecins ne pouvaient le guérir de la maladie de l’âme. Il lui aurait fallu un maître pour le guider dans ce monde terrestre afin de lui éviter de sombrer dans la nostalgie et la dépression. Fernand venait d’un autre monde comme vous, comme moi et plusieurs habitants de la Terre. Vous a-t-il déjà parlé d’un canton fantastique?

- Oh oui! Là où les enfants et les renards courent joyeusement dans les champs de blé doré!

- Avez-vous déjà rêvé à ces mêmes champs de blé lorsque vous étiez enfant?

- Mais j’y rêve encore, vous savez monsieur Paichel. Mon époux m’a fait sourire le soir de nos noces lorsqu’il m’a dit en me serrant dans ses bras : “ Je t’aime, Gracia mon amour ”. Pourquoi m’avait-il appelé Gracia, alors que mon prénom était Marie-Ève? Comme toutes les épouses, je me suis demandé si ce nom s’était échappé de sa bouche en songeant à une autre femme.

- Tu sais bien que j’ai connu une seule femme dans ma vie et qu’elle est toujours ma compagne, lui répondit Adam en lui caressant ses cheveux gris. Si je t’ai appelé Gracia, c’est que mon coeur d’enfant me poussa simplement à prononcer ce joli prénom.

- Gracia et Adamas furent également deux noms que prononcèrent votre fils, n’est-ce pas?

- Il les employa en nous affirmant que nous étions ces deux personnages dans le monde qu’il visitait dans ses rêves.

- Je pense que votre fils vous en voulait de faire semblant ne pas vous rappeler un monde antérieur afin de vivre comme des Terriens. Vous êtes des extra-terrestres mais, contrairement à Fernand, vous n’avez jamais voulu retracer vos origines. Vous avez été témoins des méchancetés commises envers lui par ceux qui le traitèrent de FOU. Cela fut suffisant pour taire en vous ce désir de rêver.

- De rêver?, lui demanda le vieil homme étonné.

- Mais pourquoi pas! Celui qui ne rêve pas ne saurait épuiser toutes ses illusions et ses nombreuses attentes inutiles. Avant de réaliser qu’on est éveillé, il faut d’abord savoir que l’on rêve. Un auteur ne rêve pas lorsqu’il décrit une situation, un paysage ou un monde fantastique. Il s’amuse à faire rêver un lecteur ou une lectrice. On s’imagine qu’il rêve, alors qu’il doit demeurer éveillé pour pondre ses oeuvres. Celui qui crée ne rêve pas et celui qui compose ne dort pas. Votre fils avait compris cela et refusait donc de s’endormir en cessant sa communication avec le monde des esprits.

- Mon frère, lui dit Mêléüs, tu dois leur raconter ta rencontre avec le gardien du cimetière.

- Oui, je pense qu’il est temps pour vous d’apprendre à renouer avec vos origines afin de vous libérer de cette odeur bestiale qui entraîne constamment les Terriens dans des conflits armés. Ils ne seront jamais réglés par des accords pacifiques, mais uniquement lorsque l’Humanité aura été éveillée par son COEUR D’ENFANT. Vous venez d’un monde où le coeur est libre de chanter comme l’oiseau libéré de sa cage. Il n’est plus conditionné par une foule de lois, de morales, de cultures et de traditions. Il chante parce que son coeur vibre sans juger la valeur des êtres et des choses. Vous êtes attristés comme parents d’avoir perdu un enfant à la guerre, mais si vous regardez au-delà des apparences, vous serez heureux de savoir que votre fils vit enfin libre comme l’air. En sortant du couloir Intemporel, j’ai été accueilli par un jeune homme qui disait s’appeler, Fernand Picard, pour ceux qui se souvenaient encore de lui sur Terre. Il m’a parlé de vous comme un enfant qui voudrait tant qu’on cesse de le pleurer puisqu’il vit à présent au royaume des esprits. Il m’a indiqué un endroit où je dois, en principe, y retrouver une centaine de croquis qu’il réalisa peu de temps avant de se joindre à un groupe de maquisards.

- Fernand vous a parlé de nous d’une voix amère, n’est-ce pas?, lui demanda tristement la pauvre femme.

- Pourquoi devrait-il regretter d’avoir été votre enfant, bonne dame? Il vous aime et vous demande d’en faire autant en vivant sur Terre sans juger votre prochain. Toute cette tristesse dans vos coeurs est comme un parfum à l’odeur de larmes et de désespoir. Il se répand inévitablement dans le monde et pollue l’Humanité. Chaque humain possède une odeur qu’il répand dans le monde sans s’en rendre toujours compte. Celle-ci est chargé de ses émotions qui peuvent changer le coeur de ceux qui les ressentiront malgré eux. Si vous répandez la paix en vous-mêmes, celle-ci aura une influence certaine sur les autres individus puisque nous faisons tous partie du CORPS UNIVERSEL. Votre enfant vous demande de pardonner aux Allemands qui l’on fusillé et surtout, de vous pardonner vous-mêmes en rejetant cette pierre de culpabilité qui servait à vous lapider. Mon ami le Christ a dit : “ Que celui qui est sans péché lui lance la première pierre .” Il ajouta : “ Le pardon doit venir du fond du coeur. Si la foule se saisit d’une pierre pour tuer un impie, vous me verrez entre lui et vous. Je vous dirai de juger votre prochain avec amour ou bien de jeter cette pierre qui se retournera un jour contre vous lorsque vous paraîtrez devant mon Père. Il vous jugera comme vous aurez jugé et pardonnera à celui qui a appris à pardonner. ”

- Mon frère, Fontaimé, désire simplement vous dire que si vous avez le courage de pardonner à ceux qui ont tué votre enfant, vous serez également pardonné de vos erreurs envers lui.

- Sacré-nom-d’un-chien, s’exclama son jumeau en riant, nous aurions dû nous engager comme prêcheurs publics.

- Je pense, dit l’agriculteur, que vous avez raison concernant cette haine que nous entretenions envers les Allemands. Puis, il est vrai que nous nous sentions aussi coupables qu’eux en refusant d’accorder à Fernand son droit de rêver à un monde différent des Terriens. Nous avions honte à chaque fois qu’un voisin nous questionnait sur les bizarreries de notre fils. Un jour, nous l’avons confié à un psychiatre pour qu’il analyse son comportement. Il faut dire que Fernand s’amusait à courir nu dans les champs, à parler aux animaux et surtout à s’enfermer dans la grange pendant de longues heures, sans doute pour fuir le monde.

- Non, il dessinait simplement ce qu’il vivait en rêve, lui répondit Fontaimé. Fernand m’a parlé d’un sac d’écolier de couleur rouge, muni d’une serrure en forme de coeur. A-t-il il vraiment existé ou est-ce simplement un être imaginaire qui m’a décrit celui-ci?

- Je me souviens parfaitement de l’avoir acheté à Fernand pour son entrée scolaire, lui répondit le vieil homme en serrant vivement les mains de son épouse. Ainsi, vous avez vraiment parlé à notre fils?

- Je vous en apporterai la preuve formelle dès qu’il fera jour, se contenta de répondre le clochard en souriant à son double.

Personne ne dormit cette nuit-là dans la maison des Picard. L’aube se leva bientôt en repoussant le voile brumeux des dernières taches nocturnes. Fontaimé et Mêléüs conduisirent leurs hôtes dans la vieille grange familiale, mais Bacchus leur faussa compagnie afin d’aller se dégourdir les pattes dans les champs. Devant l’une des fenêtres du bâtiment se trouvait un pigeonnier, laissé sans occupants depuis la mort de Fernand. Paichel défit le plancher de celui-ci pour découvrir le sac du disparu. Il l’ouvrit délicatement devant les vieillards émus et en sortit un tas de croquis fort bien conservés. Ils étaient également si beaux que l’un des Paichel s’exclama sans attendre :

- Sacré nom d’un chien, ils sont vraiment beaux ces dessins! Votre fils était un véritable artiste, à ce que je constate!

- C’est nous!, s’écria la pauvre femme en saisissant un dessin dans ses mains tremblantes.

En effet, l’un des croquis représentait un couple du monde des esprits qui ne ressemblait en rien aux parents de Fernand. Pourtant, les vieillards s’y reconnurent comme sur une photographie qui aurait été prise dans une autre dimension. Fontaimé et son jumeau fixèrent bientôt leur attention sur le dessin d’une fort jolie fée avant de s’écrier en même temps : “ Marianne!!! ”

- C’est impossible!

- Tout est possible mon cher Fontaimé.

- Elle est vraiment belle cette dame que vous appelez, Marianne, leur dit madame Picard.

- Cette dame comme vous le dites a véritablement existé au moyen âge, vous savez, lui répondit Fontaimé en caressant amoureusement le dessin. Marianne dont j’étais follement amoureux disparut mystérieusement un beau matin et je ne la revis jamais par la suite. Elle était peut-être une fée après tout! C’est du moins ce que votre fils semble vouloir me révéler par ce croquis.

- Au moins, nous savons à présent que Marianne vit au pays des fées, lui dit son jumeau d’une voix amusée. Fernand en a ramené ces croquis pour nous le prouver.

Des aboiements sortirent nos amis de leurs rêveries. Mêléüs comprit aussitôt que Bacchus était en danger et sortit donc en trombe de la grange pour voir une tache blanche détaler à toute vitesse dans le champ d’un voisin. L’autre tira à plusieurs reprises sur le fugitif, mais cet ancien sergent de l’armée ne possédait plus, heureusement, la vision de ses jeunes années. La bête lui échappa pour finalement sauter la clôture qui divisait la ferme des Picard et celle de ce mercenaire à la retraite. Le chien tenait fièrement un gros poulet doré dans sa gueule farinée. Il le déposa sans attendre aux pieds de son maître déjà rejoint par les autres. Il haleta un moment avant de dire d’une voix craintive :

- J’ai bien failli recevoir une pointe de flèche sur une patte et même entendu à plusieurs reprises des coups de tonnerre. Pour moi, Zeus devait être en colère contre moi!

- Ce n’est pas la foudre qui voulait te frapper, mais une balle de fusil, lui répondit son maître d’une voix amère. Crois-moi, un tel projectile aurait pu te laisser un trou, grand comme ça dans la peau!

- Tout de même, mon frère, n’exagère pas, lui fit comprendre son jumeau en l’obligeant à réduire la grosseur du cercle à une dimension raisonnable. Mais, c’est tout ce qu’il faut pour faire éclater la cervelle d’un chien imprudent. Personne ne t’avait autorisé à voler ce poulet si tu veux mon avis.

- Je le sais bien, lui répondit Bacchus d’une voix presque pénitente. Je me fiais sur mon invisibilité pour m’introduire par la fenêtre de la cuisine. J’avais faim et ce gros poulet cuit ne demandait qu’à être dévoré. Jamais je ne me serais permis de tuer cet animal mais puisque son assassin n’était pas là, je lui ai ravi sa victime pour le punir. Je suis même convaincu qu’un pauvre chien comme moi est mort à cause de ce berger qui a tué ce poulet.

- Mon pauvre ami, lui répondit Mêléüs en bouffant de rire, un berger ne s’occupe pas des poulets, mais des brebis. Si j’admets que tu voulais punir celui qui a fait rôtir ce poulet, cela ne t’autorisait pas à le voler et encore moins à t’en nourrir. Tu devras creuser un trou et l’enterrer puisqu’il est trop sale pour le retourner à son propriétaire.

- Il n’est pas trop sale pour moi, s’empressa de répondre le chien-loup qui bavait d’envie de le dévorer.

- Tantôt, je vais te donner à manger, mais pas question que tu te régales de cette chair volée. Avant d’aller l’enterrer, tu veux bien nous dire pourquoi tu es recouvert de farine?

- C’est simple, j’étais invisible mais pas ce poulet que je tenais dans ma gueule. Il a suffit que cet homme me jette un bol de farine sur le dos pour deviner ma forme. Je me suis aussitôt enfui en sautant par la fenêtre.

- Il est très ingénieux ce militaire, s’exclama Fontaimé en secouant tristement la tête. Je ne suis pas certain qu’il cherche à reprendre son poulet. Par contre, il doit sûrement connaître des fonctionnaires de l’armée qui seraient vraiment intéressés par un chien invisible. Il va falloir quitter cet endroit au plus vite.

- Je suis de ton avis, lui répondit son double en demandant ensuite à ses hôtes de lui indiquer la route la plus facile à suivre pour se rendre à Flers.

- Je vais vous remettre une carte routière, lui répondit monsieur Picard. Vous risquez de vous faire poser d’ennuyeuses questions si vous voyagez dans vos costumes démodés.

- Mon époux a raison, enchérit la femme en pressant ses invités vers la maison. Je pense que les salopettes et les chemises de mon mari pourront faire l’affaire en entendant de trouver mieux.

C’est ainsi que nos voyageurs quittèrent Dieppe en emportant une bonne provision de nourriture dans leurs sacs à dos. Ils donnèrent également un bain à Bacchus pour le rendre invisible aux yeux de ceux qui voudraient s’en emparer pour l’étudier. Les parents de Fernand conservèrent précieusement les croquis de leur fils disparu. Ils promirent aux jumeaux de prier le bon Dieu pour qu’il les aide à découvrir le passage secret qui mène aux souterrains de l’ancienne chapelle du moyen âge.

Quelques heures après le départ des jumeaux, des camions de l’armée s’arrêtèrent devant la maison de l’ancien militaire comme l’avait prédit Fontaimé Denlar Paichel. Des soldats ratissèrent les environs en prétendant aux curieux qu’ils faisaient simplement des exercices militaires.

La route fut longue et ardue pour nos deux voyageurs, vêtu de salopettes si amples de la taille qu’il aurait suffi d’y introduire un cerceau pour en faire des culottes de clowns. Puis, que dire de leur longueur, sinon qu’elles recouvraient à peine les mollets des fugitifs. Ils empruntèrent des routes très peu fréquentées, sûrement pas pour s’éviter le ridicule, mais pour empêcher toute circonstance où une simple vérification d’identité pourrait s’avérer néfaste pour Bacchus. Un chien invisible n’intéresserait pas seulement les militaires mais également les médias. Donc, ils voyagèrent de nuit et surtout sous la pluie. L’itinéraire à suivre en sortant de Dieppe était assez simple puisqu’ils passèrent par Rouen, Cahen et arrivèrent à Flers où y régnait la désolation. En effet, les bombardements de 1944 en avaient rasé les deux-tiers. Fontaimé et Mêléüs en éprouvèrent non seulement de la tristesse, mais de l’angoisse.

- Comment allons-nous orienter nos recherches dans ce tas de ruines?, demanda Mêléüs d’une voix amère. C’est évident que je ne m’attendais pas à voir notre ancien bourg se dresser au milieu d’une cité moderne, mais tout de même, je me fiais à certains vestiges qui nous auraient aidés à nous replacer géographiquement. Je vois bien certains bâtiments datant du XVe et XVIe siècle, mais aucune ruine de l’ancienne seigneurie de Beau-Brave.

- Je pense qu’il va falloir utiliser un point de repère naturel pour retrouver l’emplacement de l’ancienne chapelle.

Les jumeaux songeaient sans doute à une colline, un cours d’eau ou un arbre millénaire.

- Je me souviens de la colline qui se dressait derrière la chapelle. J’ai bien envie de m’amuser comme dans le bon vieux temps à monter au sommet du clocher que nous voyons là-bas. J’aurai une vue d’ensemble des environs. Je vais y grimper pendant que tu surveilleras Bacchus. Il n’est pas question de le laisser seul un seul instant.

- Et pourquoi devrais-je donc surveiller Bacchus et pas toi, Fontaimé? On dirait bien que tu décides pour moi, ma parole!

- Sacré-nom-d’un-chien, est-ce de ma faute si le destin a placé sur ma route un autre moi-même et avec lequel je tente de solutionner une situation vraiment ridicule? S’il faut en plus nous disputer pour savoir lequel doit prendre des décisions dans cette affaire, j’approuverai cette sage parole de mon ami le Christ qui nous demandait d’apprendre à s’aimer comme soi-même. Si je me trompais d’époque et que je devais t’y rencontrer par erreur, je te laisserais volontiers me rappeler poliment que je ne devrais même pas être là. Donc, si tu n’es pas là, tu dois me laisser décider en toute chose.

- Justement, je suis là et je te demande de m’aimer comme toi-même. C’est facile de prêcher aux autres d’aimer son prochain, mais tu es présentement en face de toi-même sans pour autant m’accepter.

- Mais je t’accepte mon cher moi-même, du moins au même niveau que les gens qui se regardent dans la glace. Je ne pense pas qu’ils aimeraient devoir demander à leur image la permission de prendre des décisions. Tu t’imagines la réaction d’un pauvre type qui le matin, devant son miroir, verrait son image refuser de mimer ses gestes?

- Mais je ne suis pas ton image, répondit froidement Mêléüs. Si tu as l’intention de prétendre que tu es en droit de diriger seul ces recherches, demande-toi pourquoi les hommes sont si divisés entre eux malgré qu’ils sont tous frères.

- Tu as raison, lui répondit l’autre en baissant les yeux. Pardonne-moi mon effronterie puisque je n’avais pas l’intention de blesser ton amour-propre. Je voulais t’impressionner en me montrant déterminé et maître de la situation. Pourtant, ce n’est pas le cas. C’est mon orgueil qui cherche à prendre les décisions, mais par souci missionnaire du fait qu’il n’est pas évident que nous retrouverons les souterrains. Je devrai donc être le seul à blâmer si nous recherches ne donnent rien.

- Je savais bien que tu t’arrangerais pour prendre sur toi un possible échec dans cette aventure. Je le sais puisque j’aurais agi de la même façon à ta place. Mais je refuse de te suivre sans prendre au moins la moitié du succès ou échec dans cette affaire.

- D’accord, si tu me laisse grimper à ce clocher en premier, je vais surveiller Bacchus lorsque tu y monteras à ton tour.

C’est ainsi que Fontaimé escalada l’un des murs de la jolie église moderne de St-Jean-Baptiste pour finalement se retrouver au sommet du clocher. Il aurait pu simplement passer par la grande porte et emprunter le long escalier qui y menait en toute sécurité, mais Paichel aimait ce genre d’ascension depuis le moyen âge où il escalada toutes les églises et cathédrales de Paris. L’alpiniste des pignons passa un long moment au sommet de son observatoire à scruter les moindres coins, sans pour autant y découvrir une colline pouvant ressembler à celle de son petit bourg. Lorsqu’il descendit par le même chemin, il se fit saisir rapidement par deux gendarmes et le sacristain qui l’accusa sans aucune preuve d’avoir tenté de s’introduire dans son église.

- Ce n’est pas TON église, mais celle des enfants de Dieu, ragea Paichel qui tentait de se libérer des policiers.

- Tu faisais quoi au juste, assis sur le toit de St-Jean-Baptiste?, lui demanda le sacristain en colère.

- Je voulais sans doute monter au ciel, se contenta de répondre l’accusé qui n’avait pas à se justifier devant lui.

Paichel regardait autour de lui en se demandant si son jumeau et Bacchus s’étaient fait prendre comme lui. Il ne vit aucun autre policier, mais une foule de curieux qui discutaient déjà du sort que devait réserver la justice à un voleur d’objets religieux.

- Dans mon pays, tonna un homme à la voix rauque, on lui couperait volontiers la main droite pour lui apprendre à ne pas voler.

- Voler des objets religieux est pire que voler une banque, dit une femme à son jeune enfant qui trouvait toutefois Paichel fort amusant.

- Le monsieur est un clown?, demanda-t-il dans son innocence.

- Je ne suis pas un voleur, proclama le voyageur de l’Intemporel en se laissant docilement conduire vers ce genre de véhicule qui porte si bien son nom de “ panier à salade ”.

Après y être monté sans faire d’histoires, le prisonnier s’empressa de regarder par la fenêtre en grillage et scruta d’un regard troublé les moindres témoins de son arrestation. Il baissa calmement les yeux dès qu’il comprit que ses compagnons de route n’étaient pas sur les lieux. Cela le soulageait de les savoir probablement caché quelque part dans la ville. À vrai dire, Mêléüs et Bacchus s’étaient simplement éloignés pour explorer les environs en attendant le retour de Fontaimé. Ils ignoraient tout de son arrestation, mais un témoin oculaire se dressa bientôt devant eux au moment où ceux-ci s’en revenaient de leur ballade.

- Je vous en prie, ne vous approchez pas de cette église, leur dit un jeune homme entouré d’un halo lumineux. Votre compagnon vient d’y être arrêté par les gendarmes.

- Qui es-tu?, s’empressa de lui demander Mêléüs des plus inquiets. Je vois bien que tu es un fantôme, mais encore, le fantôme de qui?

- De Fernand Picard. C’est moi qui a guidé ton double chez mes parents.

- Qu’est-il arrivé à Fontaimé au juste?

- Le sacristain de St-Jean-Baptiste l’a surpris au sommet du pignon et en a aussitôt averti les gendarmes qui sont venus l’arrêter, il y a une heure de cela.

- Bon, ce n’est pas la première fois qu’un sacristain nous cause des ennuis de ce genre. Il va falloir trouver une façon de le libérer avant qu’on lui pose des questions embêtantes.

- Je connais la personne qui pourrait le faire libérer rapidement. Des forces supérieures me demandent de te conduire au château de Vieille-Terre.

- Ah bon, pourquoi pas! De toutes manières, je perdrais mon temps à rechercher seul l’emplacement de l’ancien bourg de Beau-Brave et de sa chapelle.

- Tu recherches la chapelle de Ste-Marie-des-Puys, n’est-ce pas?

- Sacré nom d’un chien, si tu sais où elle se trouve, il faut m’y conduire sans tarder.

- J’ignore son emplacement, mais Dame Aurore de Vicoque en sait beaucoup plus que moi sur ce bourg que tu recherches.

- Il fallait me le dire plus tôt qu’une charmante dame désire me rencontrer, mon cher ami! Elle vit au château de Vieille-Terre, n’est-ce pas?

- Pas exactement. Elle détient quelques titres de noblesses sur ce château et y guide des touristes depuis que celui-ci est devenu un musée. Cela l’autorise à y habiter dans un petit appartement situé près des cuisines. Cette dame m’a accueilli pendant la guerre comme beaucoup d’autres maquisards lorsqu’elle dirigeait, à l’époque, le plus important réseau normand de la résistance française.

- Selon toi, pourquoi cette dame connaîtrait-elle l’existence de cet ancien bourg?

- Dame de Vicoque était l’épouse de Pierre Grosparmy, descendant d’un fortuné Seigneur qui aurait hérité d’un bourg, appelé Beau-Brave.

- Ainsi, l’un de ses ancêtres aurait habité mon petit château qui demeura inoccupé après mon départ vers ma première escapade dans le temps? C’est très intéressant puisque je n’ai jamais su qui en devint propriétaire après moi. Tu sais, j’y ai caché une énorme fortune en pièces d’or. Je n’ai pas eu le temps de les dissimuler ailleurs car lorsque la voix mystérieuse me demanda de quitter mon château pour descendre aux souterrains où s’y trouvait le couloir Intemporel, cela s’est fait aussi vite que si la mort elle-même semblait m’y conduire à coups de pieds dans les foufounes!

- Il doit sûrement exister des écrits te concernant et sur ceux qui habitèrent ce château après ton départ. Dame de Vicoque possède sans doute des informations à ce sujet.

Il n’en fallait pas d’avantage pour que Paichel accepte de suivre le fantôme. (Ici, il serait bon de savoir que si Mêléüs semble se souvenir d’une époque qu’il n’a jamais vécu lui-même, c’est uniquement à cause des Maîtres de l’invisible qui éveillent en lui des souvenirs de son jumeau. Il faut comprendre qu’un seul Paichel est sensé vivre sur Terre à cause du Maître du temps, appelé Chronos, qui n’apprécierait pas du tout savoir qu’un autre missionnaire se promène dans son monde temporel sans sa permission.) Le missionnaire arriva bientôt devant le château de Vieille-Terre qui datait du XV ième siècle, mais plusieurs ornements de sa décoration intérieure remontait au moyen âge. Tout comme plusieurs constructions de Flers, le musée avait souffert des bombardements. Notre homme vit d’ailleurs des ouvriers qui tentaient de le restaurer en enjolivant sa façade d’un escalier de style classique. Ce château, construit avec art et dressé près d’un magnifique étang, abrita jadis un célèbre fourneau égyptien qui, malheureusement, disparut comme tant d’autres objets que conservait précieusement le mari de dame de Vicoque. Il y avait dans l’un des salons, un joli foyer recouvert d’étranges symboles dont la signification demeurait toujours inchiffrable à cause des vandales qui en brisèrent une grande partie.

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